Courte biographie de Francis Wacziarg
Arrivé en Inde en 1968, porté là un peu par hasard, par l’enthousiasme des mouvements révolutionnaires français, Francis Wacziarg tombe amoureux de ce pays. Love at first sight, à la descente de l’avion, dans le chaos humide de Bombay. Francis passa quatre mois à silloner l’Inde, à parler aux gens et à lire, à dévorer les penseurs indiens. Ou ceux qui pensèrent l’Inde, comme Romain Rolland. D’où le prénom du fils de Francis, Romain.
Francis Wacziarg se régala d’Inde pendant quatre mois, à l’issue desquels il avait pris sa décision: revenir, revenir au plus vite, revenir pour toujours. Il adopta l’Inde comme plus tard l’Inde l’adopta, en lui donnant un passeport, pour lequel il renonça au passeport français. De sang français il n’y avait cependant pas une seule goutte dans ses veines. Son père était d’origine polonaise, issue d’une famille qui fuyait les pogroms, le seul de sa fratrie à être né sur le sol français. Quant à sa mère, elle était une aristocrate née à Constantinople et n’ayant connu qu’une série de pérégrinations à travers les grandes capitales d’Europe, jusqu’à l’arrivée en France de sa famille, alors presque réduite à la pauvreté. Francis se situait donc à un croisement rare, la rencontre improbable entre un Azkénase et une Sépharade de culture diamétralement opposée. Si le grand-père maternel de Francis parlait couramment 17 langues (parmi les plus difficiles, le Russe, le Chinois, l’Hébreux, l’Arabe, etc.), ses grands-parents paternels, eux, étaient analphabètes. Par son ascendance, Francis se distinguait. Par sa naissance, il devint une exception: il naquit au monde à bord du vapeur Nyassa, un bateau aux couleurs portuguaises, en un lieu désigné par une longitude et une latitude, quelque part dans les eaux territoriales de Cuba, au large de La Havane, où les menait le destin en cette aube de 1942. Plus tard, à Pondicherry, Francis tombe sur une vieille demeure pleine de passé, située rue Romain Rolland: « Instruction publique ». Je revois son sourire inimitable qui faisait disparaître ses yeux lorsqu’il disait « Videz-les écoles et faites-en des hôtels ». C’était la devise qu’il s’attribuait ironiquement, depuis qu’une journaliste avait (en vain) essayé de la lui faire dire. Lui qui ne prenait rien tant au sérieux que l’éducation! Enfants ou adolescents nous pouvions tout lui demander, pourvu que ce soit de l’éducation : stages, summer schools, voyages initiatiques, tout était bon pour faire grandir les esprits. En fait, sa devise aurait pu être « Que les hôtels eux-même soient des lieux d’éducation ». Car tout voyage est une découverte. Pondicherry est un petit coin de France à l’abri du continent indien, et à Pondicherry Francis aimait porter ses pas, retrouver la saveur de la France dont il était si peu issu et pourtant demeuré si français au fond. Le gentleman fou d’Inde disait à qui voulait l’entendre qu’il prendrait sa retraite à Pondi, et il disait aussi à qui voulait l’entendre qu’il ne prendrait jamais sa retraite, car sa joie résidait dans le travail. « Francis, tu es un paradoxe vivant », lui disait-on. Sans doute la clé de sa passion pour l’Inde.
Il sauta du train de la vie en marche, avant de devenir une vieille demeure bonne à restaurer. Il s’en alla sans prendre sa retraite pondichérienne, en laissant orphelins tous ceux qu’il avait pris sous son aile paternelle.